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Le blog du vieux singe

Tous les Iraniens ne sont pas négationnistes

11 Novembre 2007 , Rédigé par Michel Servet Publié dans #Iran

Source  : Courrier international n° 882 du 27/9/ au 3/10/2007

TÉLÉVISION  •  En Iran, il y a juif et juif

La diffusion d’une série consacrée au destin tragique de la communauté juive en Europe illustre la subtilité avec laquelle l’Etat distille ses messages politiques.

Chaque lundi à 22 heures, des millions d’Iraniens règlent leur téléviseur sur la première chaîne pour regarder la série la plus coûteuse jamais diffusée à la télévision d’Etat de la république islamique d’Iran. Les costumes des années 1940 et les paysages européens qu’on y voit sont bien éloignés des femmes voilées et des hommes en costume gris des émissions habituelles. Le plus surprenant, c’est que cette émission, qui a gagné le cœur de la population, raconte l’histoire déchirante des juifs d’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. Le drame, diffusé à raison d’une heure par semaine, narre l’histoire d’amour entre un Irano-Palestinien musulman et une Française juive. Au cours des vingt-deux épisodes de Madar zefr daradjé [Virage à zéro degré], le héros sauve sa bien-aimée des camps de concentration nazis et l’ambassade d’Iran en France fournit des faux passeports à la jeune femme et à sa famille pour qu’ils puissent monter à bord de l’un des avions ramenant chez eux les juifs iraniens.
A première vue, le message de cette somptueuse production, financée par le gouvernement de la République islamique, semble en contradiction avec celui du président Mahmoud Ahmadinejad, qui, à plusieurs reprises, a qualifié la Shoah de “mythe”. Mais, en réalité, le financement de l’émission par le régime de Téhéran met en évidence la façon subtile et souvent recherchée dont l’Etat iranien use de son emprise sur la télévision pour diffuser des messages d’ordre politique. Selon de nombreux observateurs en poste dans le pays et à l’étranger, l’objectif de cette série est d’établir une distinction nette entre la position du gouvernement sur le judaïsme – qui est accepté par la société iranienne – et son attitude envers Israël, qu’il condamne chaque fois qu’il en a l’occasion. “Les Iraniens ont toujours fait la différence entre les juifs ordinaires et les sionistes”, affirme Hassan Fathi, auteur et réalisateur de la série. “Le massacre de juifs innocents pendant la Seconde Guerre mondiale est tout aussi odieux, triste et choquant que le massacre de femmes et d’enfants palestiniens, innocents eux aussi, commis par des soldats sionistes racistes.”
A 48 ans, Hassan Fathi est connu pour avoir réalisé de nombreuses fictions historiques pour le petit écran. Ses œuvres précédentes étaient plutôt centrées sur l’histoire iranienne. Il raconte que l’idée de Madar zefr daradjé lui est venue il y a quatre ans, en lisant des ouvrages sur la Seconde Guerre mondiale. Il était alors tombé sur un passage relatant comment Abdol Hussein Sardari, chargé d’affaires* à l’ambassade d’Iran à Paris, avait sauvé plus de 1 000 juifs d’Europe en leur fournissant de faux passeports établissant leurs origines iraniennes.
L’antisémitisme ne fait pas recette à la télé
Hassan Fathi dit avoir choisi le titre pour refléter la situation de l’époque, qui offrait peu d’espoir d’échapper aux horreurs à venir. Tournée à Paris et à Budapest, la série a pour vedette l’idole iranienne Shahab Husseini et a été si bien accueillie par les téléspectateurs que la chanson du générique – une ode à la douceur de l’abandon en amour – est devenue un tube. Il s’est assuré la collaboration de l’Association juive d’Iran, un organisme indépendant créé pour protéger la culture et l’héritage de la communauté juive. L’Association, qui avait critiqué les propos de M. Ahmadinejad concernant la Shoah, a fait l’éloge de la série. Forte de ses 25 000 membres, la communauté juive iranienne est la plus importante du Moyen-Orient en dehors d’Israël. La Constitution du pays garantit sur le papier aux juifs iraniens – comme aux chrétiens et aux zoroastriens – les mêmes droits qu’au reste de la population. Les juifs iraniens, qui sont également représentés au Parlement par un seul député, sont libres d’étudier l’hébreu à l’école, de prier dans les synagogues et de faire leurs courses dans des supermarchés kasher. Malgré les déclarations de M. Ahmadinejad, Téhéran ne cherche pas à nier la Shoah, et l’ayatollah Ali Khamenei, guide suprême du régime, ne s’est pas rallié au point de vue du président. Les autorités iraniennes ne cachent pas qu’elles considèrent Israël comme un Etat ennemi, mais elles sont très sensibles aux critiques concernant le traitement que le pays réserve aux citoyens juifs. La série Madar zefr daradjé est considérée comme un effort de l’Iran pour se débarrasser de l’image d’Etat antisémite qu’il a sur son propre territoire – auprès des juifs et des non-juifs – et à l’étranger.

Un feuilleton qui conforte la politique à l’égard d’Israël

“Cette série encourage un nouveau mode de dialogue politique, plus adapté au monde moderne”, affirme Mohammad Ali Abtahi, ex-vice-président et religieux proche du courant réformateur. Le message qu’elle véhicule passionne le public iranien. Sara Khatibi, une mère de famille âgée de 35 ans, chimiste à Téhéran, raconte que son mari et elle ne ratent jamais un épisode. “Tout ce qu’on entend sur les juifs, ce sont les médisances du gouvernement à propos d’Israël. C’est la première fois que nous avons la possibilité de voir l’histoire sous autre angle et d’en savoir davantage sur leurs souffrances”, explique-t-elle. ‘madar zefr daradjé se situe également dans la droite ligne de l’idéologie politique du gouvernement iranien concernant la légitimité d’un Etat juif : Israël est une création moderne des pouvoirs occidentaux et ne relève pas d’un désir séculaire des juifs de retourner vivre sur les terres de leurs ancêtres. Dans une scène de la série, un rabbin soutient que revenir s’installer sur les terres arabes est une mauvaise idée. Dans une autre, la Française juive décline la proposition de mariage d’un cousin préconisant la création d’Israël.

* En français dans le texte.
Farnaz Fassihi
The Wall Street Journal

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